À l’occasion des 60 ans de l’association, des adhérents de l’IFACI nous parlent de leur parcours et de ce que l’IFACI a pu leur apporter très concrètement. Aujourd’hui, Marine Lecuyer, Responsable de projets Audit & Inspection à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel, et également formatrice à l’IFACI, évoque les grands défis de nos métiers et le rôle que joue l’association en soutien des professionnels.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de votre rôle actuel ?
Marine Lécuyer : Je suis diplômée d’une école de commerce et j’ai découvert l’audit externe lors d’un stage au sein du cabinet Deloitte. J’ai beaucoup aimé le métier, mais j’étais frustrée de ne pas me sentir appartenir à une entreprise. Je me suis donc réorientée vers l’audit interne et, en 2010, j’ai intégré l’Inspection générale du Crédit du Nord (qui a depuis fusionné avec Société Générale). J’ai fait l’ensemble du parcours d’Inspection générale (ndlr : direction d’audit interne ou de contrôle périodique la plus haute dans une banque). J’y ai passé quatre ans et demi et ai eu l’occasion de découvrir tous les postes, d’Inspectrice junior jusqu’à Responsable de mission. À l’époque, la Direction du Contrôle Périodique (DCPE) de la Société Générale s’était dotée de son propre « organisme de formation » : DCPE Academy. On m’a proposé d’y être formatrice ponctuellement et c’est ainsi que j’ai découvert la formation en audit interne. Par la suite, j’ai été Directrice d’une agence bancaire pendant 3 ans, avant de revenir en Inspection générale. Je suis arrivée à la Confédération Nationale du Crédit Mutuel en 2018, où je suis toujours. Désormais, je ne suis plus opérationnelle dans la réalisation des missions d’audit, mais j’ai un Responsable de projets, couvrant le suivi des recommandations, la MOA des outils informatiques, la méthodologie ainsi que la formation et le recrutement : un poste polyvalent qui me permet de rester en lien avec les problématiques opérationnelles. Néanmoins, la formation est toujours restée dans un coin de ma tête : j’ai donc à l’IFACI en 2022 et j’ai démarré mes premières interventions début 2024, tout en restant salariée à 100 % au Crédit Mutuel.
Quels sont les grands défis de votre métier aujourd’hui ?
M.L. : Jusqu’à aujourd’hui, il est attendu des auditeurs internes qu’ils collectent et traitent beaucoup d’éléments de détail, qu’ils rentrent avec précision dans l’opérationnel. Je pense que le métier va fortement évoluer, notamment avec l’intelligence artificielle, le big data, etc. Une partie de ces tâches va être automatisée et dégager du temps aux auditeurs internes pour renforcer leurs analyses et développer leur vision transverse voire systémique de leurs organisations.
Les directions d’audit interne auront donc besoin de profils plus analytiques, capables de comprendre des interconnexions complexes et d’intégrer aussi le facteur humain, le relationnel, etc. Le volet communication est très important dans le métier d’auditeur interne. Diffuser la culture du risque, sensibiliser au contrôle interne, être pédagogue : c’est vers ce rôle que l’auditeur interne évolue aujourd’hui.
Selon moi, ce qui fera la différence entre un auditeur « à valeur ajoutée » et un auditeur « lambda » sera sa capacité d’analyse poussée, sa vision transverse et ses compétences en matière de communication.
« L’évolution du métier est clairement challengée par les sujets Big Data et AI »
Comment votre profession a-t-elle changé ces dernières années ?
M.L. : L’évolution du métier est clairement challengée par les sujets Big Data et AI, qui, pour moi, permettent de renforcer les compétences des auditeurs internes. Il y a également de nouveaux sujets qui apparaissent et prennent de l’ampleur pour la profession, comme l’ESG et les risques climatiques. Quant aux risques « traditionnels », loin de disparaître, ils vont changer de forme : c’est le cas pour la fraude, ou la corruption par exemple, qui sont de plus en plus complexes à appréhender, identifier et prévenir dans des environnements connectés.
En quoi l’IFACI apporte-t-il un soutien concret aux auditeurs et contrôleurs internes ?
M.L. : En premier, il y a la plateforme de la communauté, Workvivo, où chaque adhérent peut arriver avec sa problématique et solliciter l’aide de ses pairs. Avec 5, 10 ou même parfois une vingtaine de professionnels qui se mobilisent spontanément pour répondre. Les adhérents sont issus de secteurs d’activité très variés ainsi que de tailles d’organisation et structures d’audit très différentes. Je trouve ce « coup de fil à un ami » extrêmement riche, d’autant plus qu’il est parfois difficile de solliciter de l’aide en interne, où l’on peut craindre d’être jugé.
Il y a également les webinars et réunions mensuelles : des moments d’échanges au cours desquels des sujets très différents sont abordés et dans divers formats. Si je ne peux pas me connecter et suivre l’intervention en direct, un replay est mis à disposition. Cela me permet de ne pas être contrainte par un planning d’événements et de pouvoir visionner les contenus proposés « à la carte », lorsque j’ai le temps, ce qui est vraiment pratique.
Par ailleurs, si j’ai envie de contribuer, de partager un retour d’expérience, je peux le poster. C’est cette dynamique-là que j’apprécie beaucoup. Au sein de la communauté IFACI, il n’y a pas de barrière à l’ancienneté et à l’expérience. Un junior va pouvoir trouver ce qu’il cherche. Idem pour une personne plus expérimentée, qui pourra aussi l’aider par ailleurs.
Enfin, ce que j’apprécie également beaucoup, ce sont les formations. Elles sont toujours très concrètes et opérationnelles. On repart avec des petits tips simples à mettre en œuvre et immédiatement applicables. Les formateurs encouragent et favorisent le partage de bonnes pratiques.
« L’IFACI peut clairement jouer un rôle pour ces fonctions d’audit interne de petite taille »
Quelle est, selon vous, l’impact et la valeur ajoutée de votre métier pour les entreprises ?
M.L. : Dans une organisation qui est mature en termes de dispositif de contrôle interne, ce qui est le cas pour moi, la valeur ajoutée trouve naturellement sa place. Au-delà d’être à l’écoute de l’audit interne, les instances dirigeantes le légitiment, le soutiennent et le sollicitent. Toutefois, certains auditeurs internes entendent parfois des clichés sur le métier : « Vous êtes un centre de coût. Vous n’apportez aucun bénéfice à l’entreprise. Nous sommes, nous, une source de profit ». Effectivement, l’audit interne est un centre de coût, mais c’est aussi et surtout un « lieu d’évitement des pertes ». Et c’est un élément-clé pour une entreprise.
Par ailleurs, les dirigeants ont désormais conscience que rares sont les directions capables de diffuser des bonnes pratiques d’une filiale en Allemagne à une filiale d’un autre métier en Espagne. Il n’y a que l’audit interne qui peut réaliser des benchmarks intra-groupes et véhiculer les bonnes pratiques sur un périmètre aussi large (multi-activités et transfrontalier) : son rôle intègre donc un volet stratégique pour l’entreprise.
Les opérationnels s’en rendent compte également. Ils savent que, lors des missions, les auditeurs internes adoptent une vision terrain et un discours concret. L’audit interne peut leur faire gagner du temps, de la sécurité et du confort dans la réalisation de leurs tâches, en s’assurant que l’exécution de ces dernières est conforme et alignée avec la stratégie de l’entreprise. Après la mise en œuvre des recommandations, c’est clairement plus de sérénité et moins de stress au quotidien pour les opérationnels.
En revanche, il est généralement plus difficile pour l’audit interne de mobiliser le middle management, qui se positionne entre les considérations stratégiques des dirigeants et la réalité sur le terrain des opérationnels. Le rôle des auditeurs internes est alors de les embarquer dans la culture du risque et la sensibilité aux contrôles.
Dans tous les cas, l’auditeur interne doit savoir s’adapter à ses différents interlocuteurs, identifier les leviers de coopération et adopter un discours personnalisé, afin que chacun perçoive la valeur ajoutée de l’audit interne dans son quotidien, dans sa réalité opérationnelle.
Quelles sont les compétences que vous estimez indispensables pour réussir dans votre domaine ?
M.L. : Il faut être extrêmement curieux. Si l’auditeur interne n’a pas cette envie d’aller comprendre, d’aller chercher plus loin, il restera sur des investigations en surface. Et, pour avoir participé à plusieurs dizaines de recrutements ces dernières années, je pense que des gens qui ne sont pas curieux par nature ne le deviendront pas par la suite. Ce n’est pas une compétence ou une attitude qui s’acquiert réellement. Les personnes curieuses « de nature » font d’excellents auditeurs internes. Pour autant, les « curieux » ont un vrai défi dans l’exercice du métier : savoir quand s’arrêter. En effet, un auditeur interne peut creuser un sujet indéfiniment, mais chaque mission dispose d’un budget à respecter et d’un temps limité pour établir les constats. Il faut donc se poser la question suivante : « quelle valeur ajoutée supplémentaire vais-je apporter à ce constat, si j’y consacre tant d’heures ou de jours en plus ? ».
De plus, c’est aussi un métier qui demande une implication importante en termes notamment de rythme et d’horaires. Sans être déraisonnable, le métier d’auditeur interne requiert de la flexibilité dans le rythme (dépendance vis-à-vis de la disponibilité des audités, déplacements) ainsi qu’une certaine capacité à gérer des pics d’activité ponctuellement (en fin de mission, généralement).
Enfin, je citerais l’agilité car l’auditeur interne doit s’adapter en permanence, aussi bien au niveau technique (sujets audités) que relationnel. En effet, il faut être en capacité d’échanger avec des interlocuteurs très divers de par leur niveau hiérarchique, leur métier, leur expertise, leur ancienneté, etc.
Quel conseil donneriez-vous à un professionnel qui débute dans ce secteur ?
M.L. : Je pense qu’il faut aborder ce métier avec, d’une part, beaucoup de rigueur et, d’autre part, un grand capital de curiosité. Ce n’est pas simple parce qu’il faut être à l’aise avec un cadre structuré et être capable de formaliser précisément ses travaux, tout en ayant un esprit analytique et une capacité à aller investiguer en dehors du cadre.
Ce métier est souvent « étiqueté » comme étant pour les jeunes diplômés mais ce n’est pas vrai, des professionnels expérimentés peuvent tout à fait se reconvertir en audit interne. Certains disposent de compétences qu’ils n’imaginent pas spontanément applicables à l’audit interne, alors qu’ils peuvent s’appuyer dessus. Par exemple : Si vous n’avez jamais fait d’audit interne, soyons honnêtes, vous ne maîtrisez pas la méthodologie d’audit interne et il va falloir l’acquérir. Mais si vous êtes très organisé , avez un vrai sens de la communication et savez vous adapter à vos interlocuteurs, alors… c’est un excellent début ! Et le fait d’avoir ce type d’aptitudes facilitera grandement la suite, même si de prime abord vous n’imaginez pas pouvoir utiliser vos compétences actuelles en audit interne.
Un message pour célébrer les 60 ans de l’IFACI ?
M.L. : Le plus grand atout de l’IFACI est, selon moi, sa capacité à, très tôt et très vite (presque même en anticipation), se positionner sur les nouveaux sujets et à apporter à la communauté des adhérents beaucoup de valeur sur des thématiques tout juste émergentes. C’est le cas par exemple avec l’IA et GAIA, qui ne cesse d’évoluer. Le sujet des enjeux environnementaux et climatiques a lui aussi été développé très tôt avec des propositions concrètes et des contributions.
Après, un point d’attention concerne les petits services d’audit interne (de 1 à 5 auditeurs internes) : l’IFACI doit trouver le bon moyen de s’adresser aussi bien à eux qu’à des fonctions plus denses et très structurées. Il faut pouvoir, par exemple, les aider à prendre en main GAIA. Il y a donc un challenge permanent pour trouver et maintenir cet équilibre entre deux niveaux d’exigence.