60 ANS DE L’IFACI – « Une ouverture sur le monde » Adel Rahmani, Directeur d’audit interne Groupe chez Descartes Underwriting


L’IFACI fête cette année ses 60 ans et, à cette occasion, nous avons demandé à ses adhérents de nous confier leur perception sur l’évolution des métiers du risque et ce que l’association avait pu leur apporter au fil de leur carrière. Aujourd’hui, Adel Rahmani, Directeur d’audit interne Groupe chez Descartes Underwriting.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de votre rôle actuel ?

Adel Rahmani: Je dis souvent que j’ai un parcours atypique – même si, avec le temps, il l’est de moins en moins. J’ai débuté ma carrière dans l’audit interne à la Société Générale, en Algérie, une excellente école.

J’ai été recruté après l’affaire Kerviel, alors que le groupe souhaitait renforcer les moyens des fonctions de contrôle, y compris les fonctions d’audit interne et d’Inspection Générale. Après quelques années, j’ai eu l’opportunité de passer dans le secteur de l’assurance, chez AXA. J’ai d’abord été responsable de l’audit interne d’AXA Algérie, une petite filiale dans le grand écosystème du groupe. 

Après deux ans et demi, on m’a proposé de rejoindre les équipes du Groupe en tant qu’auditeur senior – chef de mission au niveau de la holding, de travailler sur des entités beaucoup plus importantes et d’être exposé à une grande variété de secteurs d’activité. J’ai évolué en partie en France, mais également à l’international, sur tous les continents où AXA était présent, J’ai passé trois belles années à ce poste.

Puis j’ai eu envie de découvrir de nouvelles fonctions et j’ai rejoint la direction de la conformité du groupe AXA en passant de la troisième ligne de maîtrise à la seconde, en tant que Group senior compliance officer.

C’était un positionnement très différent, dans le sens où j’avais une double casquette : le contrôle des entités au titre de l’activité du groupe, mais aussi le support à ces mêmes entités sur un certain nombre de process de la compliance dont j’avais la responsabilité. La nature de la relation avec mes interlocuteurs a radicalement changé, n’étant plus dans une position de contrôleur 100 % du temps. Là encore, l’expérience a été très enrichissante, avec des entités de tailles différentes, mais également des différences en matière de maturité des environnements réglementaires, ou encore de typologie de clients ou de produits…

« Créer une compagnie d’assurance, cela n’arrive pas tous les jours »

J’ai ensuite été contacté par le CEO de Descartes Underwriting1, spécialisé dans l’assurance paramétrique climatique. Il avait quitté AXA en 2018 pour lancer son entreprise et recherchait un profil comme le mien. Il voulait créer une compagnie d’assurance, avec donc une obligation réglementaire d’avoir de l’audit interne pour les activités d’assurance mais également d’étendre le périmètre de la fonction d’audit interne à l’ensemble des entités du Groupe Descartes. J’ai été tout de suite intéressé par cette aventure entrepreneuriale. Avoir la chance de travailler sur un dossier de licence d’assureur en Europe dans un environnement qui est très mature, cela n’arrive pas tous les jours ! Qui plus est avec un produit aussi innovant, qui représente en partie le futur de l’assurance. Au delà, le climat est une cause pour laquelle j’avais déjà été très actif : en plus d’un engagement associatif au sein d’ONG algériennes, j’ai été représentant des jeunes Africains auprès du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE/UNEP), j’ai eu à ce titre l’opportunité de participer à des conférences (CoP) et à des sommets ministériels, et de porter la voix des jeunes africains auprès de décideurs du continent.

Quels sont les grands défis de votre métier aujourd’hui ?

A.R. : J’en vois plusieurs qui n’en étaient pas quand j’ai commencé ma carrière. Le premier auquel je pense, c’est l’enjeu RH : avoir la capacité d’attirer les meilleurs profils. À mes débuts, l’audit interne était une fonction qui attirait de jeunes diplômés en raison de la transversalité des missions et de la capacité d’avoir une vision 360° sur l’activité d’une organisation. Aujourd’hui, les attentes semblent différentes. Et quand on parle aux jeunes diplômés, beaucoup veulent faire de la stratégie ou du M&A. C’est dommage, d’autant que le marché ne peut pas absorber tous ces étudiants dans ces domaines. Il y a beaucoup d’autres choses que l’on peut faire au sein d’une organisation, avec à la clé de belles carrières. 

Le second enjeu que j’identifie concerne la spécialisation. Je constate, par exemple, qu’au sein des équipes, on a souvent des populations d’auditeurs uniquement orientées IT, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas suffisamment de sensibilité à l’activité de l’entreprise et à ses process. Je pense que l’un des enjeux est d’arriver à former aujourd’hui des auditeurs généralistes, avec une forte appétence pour les sujets systèmes d’information et une compétence avérée dans ce domaine.

« Nous évoluons dans des environnements où les choses vont très vite »

Le dernier enjeu se situe au niveau du management des structures d’audit interne: comment rester à jour en permanence sur l’évolution des risques auxquels nos organisations font face. Il faut être proactif dans leur gestion, mieux les anticiper et ne pas subir les changements. Et ceci n’a rien d’évident, car nous évoluons dans des environnements où tout évolue très vite, où un risque chasse l’autre.

Comment votre profession a-t-elle changé ces dernières années ?

A.R. : Je vois une évolution positive, que l’on perçoit notamment dans les offres d’emploi, avec une prise de conscience des organisations, qui accordent plus d’importance au sujet des systèmes d’information. Ce qui n’était pas le cas il y a 15 ou 20 ans. Les sujets comme la data et l’IA ont logiquement pris une place de plus en plus importante au sein des directions d’audit interne. Cela montre que les organisations ont évolué, et l’audit interne avec elles.

Quels sont les défis ou transformations que vous anticipez dans les prochaines années ?

De manière générale, le principal risque concerne la place de l’humain. L’émergence de l’intelligence artificielle soulève la question de son potentiel à remplacer l’homme dans un grand nombre de tâches, mais aussi celle de la dépendance croissante qu’elle pourrait engendrer.

Le télétravail constitue un autre défi. Ce qui a pu bien fonctionner lors de la crise du COVID, car les collaborateurs se connaissaient déjà, connaissaient l’entreprise, maitrisaient les process, pourrait ne pas donner de bons résultats à terme. Alors que le télétravail devient la norme, nous n’avons pas encore une bonne appréciation des risques qui y sont liés. 

Si l’on prend l’exemple de l’audit interne, on ne perçoit pas la même qualité d’information lorsqu’on est à distance que lorsqu’on est physiquement présent dans la même salle. Au-delà du langage corporel et des signaux faibles, ce sont aussi les échanges informels — avant ou après la réunion — et le lien de confiance qui se tisse avec les audités qui font la différence.

Tout cela ramène à la question centrale de l’humain : les valeurs et l’éthique portées par l’organisation doivent permettre aux individus de s’y reconnaître, d’y adhérer, de créer un véritable lien avec leurs collègues et leur employeur, et ainsi de donner du sens à leur travail. 

« Un moyen de connaître des professionnels, de constituer un réseau »

En quoi l’IFACI vous apporte-t-il un soutien concret ?

A.R. : L’IFACIreprésentait au départ une ouverture sur le monde : l’association m’a permis de rencontrer des personnes que je n’allais pas forcément croiser dans mon quotidien, parce qu’évoluant dans des secteurs d’activité différents. Quand je suis arrivé en France, c’était aussi un moyen de connaître des professionnels du secteur, de me constituer un réseau.

C’est également aujourd’hui la possibilité de comparer les pratiques de mon organisation avec d’autres et de m’enrichir de leurs expériences. Etant certifié CIA, je participe à des réunions mensuelles pour maintenir la certification. Et c’est aussi l’occasion d’écouter des experts, d’approfondir certaines thématiques.

Avec le temps, j’ai pu explorer une bonne partie de la base documentaire, qui est très riche et qui couvre beaucoup de sujets. Cela m’a permis d’approfondir mes connaissances. Et puis il y a un outil que je n’utilise pas encore assez, c’est Gaia2. J’ai testé les versions pilotes et j’ai beaucoup aimé. C’est une ressource sur laquelle, avec mon équipe, nous allons travailler.

Quelle est, selon vous, la valeur ajoutée de votre métier pour les entreprises ?

Descartes Underwriting est un des leaders mondiaux de l’assurance paramétrique climatique, nous travaillons principalement sur l’évolution des risques climatiques. Mais je rappelle souvent aux équipes que nous devons aussi faire de la prospective sur tous les risques en interne, parce que cela fait partie de notre ADN. C’est notre rôle en tant que fonction de contrôle et c’est au cœur de ce que nous pouvons apporter à notre organisation. C’est ce qui fera que nous serons encore là dans de nombreuses années. 

« Une très belle association qui fait un travail remarquable »

Quel conseil donneriez-vous à un professionnel qui débute dans ce métier ?

Avant tout, il est important d’avoir une vraie appétence pour ce métier. Cela peut parfois venir d’une prédisposition personnelle, d’un goût prononcé pour la justice et l’équité – même si cela peut paraître un peu cliché.

Ensuite, s’agissant des qualités à développer, j’insisterais en premier lieu sur l’écoute : c’est la base du travail d’auditeur. Il faut aussi savoir aller au-delà des évidences, faire preuve d’esprit critique, et avec l’expérience, apprendre à créer une relation de confiance avec les audités, à bien comprendre qui l’on a en face de soi.

Du point de vue organisationnel, le conseil que je donnerais à des débutants, c’est de bien comprendre leur secteur d’activité, le business, les enjeux et la finalité de leur travail. Pour être en mesure de bien évaluer les risques, mais également les conséquences de ce que l’on va proposer et avoir comme objectif de toujours rester pertinent dans nos propositions en ayant une réelle valeur ajoutée pour l’organisation.

Un message pour célébrer les 60 ans de l’IFACI ?

Pour moi, l’IFACI est une très belle association, qui accomplit un travail remarquable grâce à l’engagement de ses adhérents et de l’équipe de permanents. Elle a de belles perspectives devant elle, avec de nombreux projets à mener. On le voit notamment avec l’initiative Gaïa2, évoquée plus haut.

J’espère que nous pourrons bientôt reprendre les réunions mensuelles en présentiel : elles renforcent véritablement le lien entre les membres de la communauté des auditeurs et contrôleurs internes – un lien qui, aujourd’hui, se manifeste surtout lors de la conférence annuelle de l’IFACI. 

Enfin, toujours dans un esprit d’amélioration continue, développer davantage la représentativité des organisations de taille plus modeste, notamment les entreprises de taille moyenne et les acteurs de la tech, au sein des organes de gouvernance de l’IFACI. L’objectif est de rassembler encore davantage de professionnels autour de cette belle association. Merci et joyeux anniversaire ! 

1 https://descartesunderwriting.com/

2 https://www.ifaci.com/gaia/